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Né à Berck le 9 novembre 1940, Guy-Claude François est mort à Paris le 4 février 2014. Son parcours est exemplaire de l’art du scénographe, dans le fil des révolutions scéniques qui ont substitué ce terme à celui de décoration dans les années 1960, sous l’effet des grands réformateurs que furent ses aînés, les tchèques Josef Svoboda et Frantisek Tröster, et en France René Allio, André Acquart et Michel Raffaëlli. Avec notamment Richard Peduzzi, Yannis Kokkos et Michel Launay, il incarne l’émergence de cet art, de cette fonction et de cette pratique à la reconnaissance de laquelle il a beaucoup œuvré de façon transversale et plurale tant dans la pratique artistique que dans le domaine pédagogique, professionnel et intellectuel.
Son grand-père Henri François est l’ingénieur du Rocher du Zoo de Vincennes (1934), de la dalle du Palais de Chaillot (1937), des passerelles à altimétries variables du port de Cherbourg, de la voûte du CNIT à la Défense (1958). Après son baccalauréat, Guy-Claude François passe une année à l’Ecole du Louvre puis il se forme de 1959 à 1961 à l’Ecole de la rue Blanche à Paris[1] en suivant deux sections, décoration et régie. Il a, comme professeurs, Jacques Gaulme pour la conception de décors et Lucien Pascal (directeur technique de la Comédie-Française) pour la régie.
Tout en pratiquant la peinture de décor et la maquette, à l’Atelier Bertin (1961-1963) et à l’Opéra de Paris, il travaille comme régisseur (Compagnie Yves Gasc, Théâtre La Bruyère et Folies Bergères en 1962), puis comme directeur technique et directeur de scène au Théâtre Récamier de 1965 à 1967, où le Théâtre du Soleil crée en janvier 1966 Le Capitaine Fracasse. Il réalise ses premiers décors en 1967 pour Jean-Pierre Miquel et pour Pierre Peyrou (Compagnie Peyrou-Thomas). Au printemps 1968, à l’occasion du Songe d’une nuit d’été, Ariane Mnouchkine l’engage pour l’aménagement du cirque Médrano. Il devient directeur technique du Théâtre du Soleil et gardera cette fonction jusqu’en 1978.
A partir de 1975 avec L’Âge d’or, il sera sans discontinuer le scénographe de la compagnie, collaborant étroitement avec Ariane Mnouchkine et concevant les scénographies de toutes les créations à la Cartoucherie de Vincennes et en tournée jusqu’en 2003 avec Le Dernier Caravansérail (16 pièces pour 11 spectacles). On se souvient notamment de l’espace vallonné de L’Âge d’or, des soies du cycle Shakespeare (Richard III, La Nuit des Rois, Henry IV, 1981-1984) qui faisaient s’écouler le temps dans l’espace, et de la restructuration des nefs du Soleil pour L’Indiade, en 1987, conjuguant scénographie et architecture. Il restera très proche d’Ariane Mnouchkine qui le consultait toujours pour la naissance des spectacles qui ont suivi après 2003. Sa conception de la scénographie fond dans une même démarche l’organisation d’un lieu de représentation et l’organisation esthétique de l’espace scénique propre à chaque spectacle, en lien étroit avec une dramaturgie, la mise en scène et surtout avec l’énergie des comédiens, prenant en compte la proximité du spectateur. Dans sa pratique, ces aspects du travail scénographique ne font qu’un.
Il continue également à travailler régulièrement pour d’autres metteurs en scène, comme le tchèque Otomar Krejča, de 1980 à 1992 (16 réalisations, voir illustration ci-dessus, La Vie est un songe, 1986 en Suède), les belges Armand Delcampe (7 réalisations) et Dominique Serron (3 réalisations), les français Alain Sachs (13 réalisations), Mireille Larroche (4 réalisations), Philippe Caubère (2 réalisations) et Jean-Claude Penchenat (2 réalisations), l’allemand Rudolf Sauser (3 réalisations), la roumaine Irina Niculescu (2 réalisations) au théâtre, à l’opéra, et pour le théâtre de marionnettes en France, en Belgique, en Italie, en Autriche, en Allemagne, en Norvège, en Suède, en Finlande.
Dès le début des années 1970, il s’intéresse à l’architecture des lieux scéniques, en raison de sa pratique au Théâtre du Soleil. Outre le modelage constant des nefs de la Cartoucherie, renouvelé à chaque spectacle de 1971 à 1985, il a été confronté à l’aménagement des lieux pour les tournées sur tous les continents. Sur la base de cette expérience « hors des théâtres », il est appelé vers d’autres lieux et d’autres interventions. Après avoir été associé avec Rocco Compagnone en 1980-1982, il travaille dès 1982 avec Jean-Hugues Manoury et fonde avec lui en 1988 la société Scène avec laquelle il a conçu et réalisé près de 200 salles de spectacle en France et dans le monde, de toute nature (théâtres, opéras, salles de congrès, auditorium, salles multifonctionnelles, centres culturels, conservatoires, médiathèque), ainsi que d’aménagements de musées et d’expositions (Centre de la Résistance à Lyon, MuseoParc d’Alésia, exposition Yann Arthus-Bertrand, Grand Palais, 2009) ou d’événements (Théâtre des cérémonies pour l’ouverture des Jeux olympiques d’Albertville en 1992, spectacle conçu par Philippe Découflé). Il collabore avec un grand nombre d’architectes comme Bernard Tschumi, Renzo Piano, Antoine Stinco, Tadao Ando, Alain Sarfati, Pierre Riboulet, Vittorio Gregotti, Carrilho da Graça, Xavier Fabre, Reichen et Robert, Andraud et Parrat, François Lombard, Michel Wilmotte.
Après le film Molière réalisé par Ariane Mnouchkine en 1976-1977, il œuvre comme chef-décorateur au cinéma avec Roger Coggio, Bertrand Tavernier, Coline Serreau, James Ivory, Philippe Kaufman, Maria de Medeiros, Christophe Gans, Chris Nahon, Brigitte Roüan, Lisandro Alonso.
Il a enseigné sans interruption à partir de 1987 dans le cadre du Département de Scénographie à l’Ecole d’architecture de Clermont-Ferrand, transféré en 1999 à Nantes au sein de l’Ecole nationale supérieure d’architecture, où il devait dirigé en 2014-2015 à nouveau l’atelier Décor de film ; de 1990 à 2004, à l’Ecole d’architecture de Strasbourg ; de 1990 à 2007 au Centre d’Etudes Théâtrales de l’Université de Louvain la Neuve en Belgique. A partir de 1992 et jusqu’en 2006, à l’invitation de Richard Peduzzi, il a été enseignant responsable du Département Scénographie au sein de l’Ecole nationale supérieure des Arts décoratifs à Paris. Il a également dirigé des ateliers à l’Institut international des marionnettes à Charleville-Mézières et donné de nombreuses conférences à l’Université.
Il a contribué à de nombreuses publications, comme le Dictionnaire encyclopédique du théâtre dirigé par Michel Corvin (Editions Bordas, Paris, 1991), affirmant son intérêt pour la réflexion théorique et la conceptualisation. Par sa pratique, il incarne une conception étendue et ouverte de la scénographie, allant de la scénographie de spectacle à la scénographie d’exposition en passant par la scénographie d’équipement. La définition de la scénographie qu’il donne avec Luc Boucris dans le Dictionnaire encyclopédique du théâtre, en témoigne : « La scénographie peut se définir comme l’art de la mise en forme de l’espace de représentation. De la conception d’un décor pour une mise en scène donnée à celle d’un lieu de spectacle, en passant par l’aménagement de tout un espace pour un spectacle, l’intervention du scénographe peut prendre des formes et une importance extrêmement divers. A travers son origine historique, ce terme souligne la nécessité d’un travail d’invention conceptuel permettant de penser l’espace ». Cette conception reste ancrée dans l’expérience théâtrale, celle d’un théâtre ouvert sur le monde et sur la vie. Il est en 1996, l’un des fondateurs du syndicat professionnel de l’Union des Scénographes, dont il sera le président pendant plusieurs années.
Il a été distingué lors de la Quadriennale de Prague en 1975 (médaille d'argent avec le Théâtre du Soleil). En 1987, il était présent dans la section architecture avec Reichen et Robert. La restructuration qu'il a effectuée avec Scène de la cour d'Honneur du Palais des Papes a été présentée à Prague en 2003 avec la scénographie de Philippe Marioge pour Platonov de Tchékhov, mise en scène par Eric Lacascade.
Il a reçu un César pour le film Molière, le prix spécial du jury du festival de San Sebastien pour la direction artistique de Capitaine Conan, un Molière pour les décors du Passe-Muraille, de Marcel Aymé, un autre pour le décor de Tambours sur la digue, un troisième pour Le dernier Caravansérail et plusieurs autres nominations aux César et Molière.
Il a été nommé chevalier de l’Ordre National du Mérite au titre du Ministère de la Culture en 2004.
En 2009, à Nantes, une exposition « Construire pour le temps d’un Regard » à la chapelle de l’Oratoire (Musée des Beaux-Arts) a présenté un panorama de sa création théâtrale et cinématographique, accompagné d’un catalogue de l’œuvre établi par Danièle Pauly et Marcel Freydefont, publié aux Editions Fage. Luc Boucris a publié à cette occasion La Scénographie, Guy Claude François à l’œuvre aux Editions L’Entretemps. Guy-Claude François fait partie des 50 scénographes présentés dans l’anthologie Scénographes en France (1975-2012) Diversité et mutations, publiée par Actes Sud en 2013, et il a participé à la présentation de cet ouvrage au Festival d’Avignon en juillet dernier. La bibliographie le concernant est très nourrie.
La page d’accueil de son site internet (http://guyclaudefrancois.free.fr/) présente l’empreinte d’une main ouverte, dont les lignes de vie tracent les trajectoires tournoyantes de son activité. A l’aide de son porte-mine, cette main activait des esquisses à la ligne claire qui faisaient naître l’horizon matérialisant « une idée d’espace », propice à prendre vie. Un autre motif synthétise sa vision, celle d’un arbre dépouillé, vibrant et droit, comme ceux qu’il a dessinés pour l’opéra de Verdi Macbeth mis en scène par Jean-Christophe Mast à Nancy.
Marcel Freydefont
[1] Ce Lycée professionnel est devenu en 1993 Ecole nationale supérieure des arts et techniques du théâtre, située depuis 1997 à Lyon.
L'Indiade ou l'Inde de leurs rêves d'Hélène Cixous, mise en scène d'Ariane Mnouchkine, Théâtre du Soleil, 1987