/image%2F0551663%2F20140910%2Fob_12e885_michel-crespin.jpeg)
Photographie de Florence Portemer
L'œil malicieux, bonhomme, Michel Crespin jouait tranquillement aux quilles sous l'ombrage de la place ensoleillée de son village de cœur, Château-Chalon dans le Jura, en ce dimanche 7 septembre 2014. Puis, il s'en est allé s'endormir paisiblement avant de nouveaux rendez-vous matinaux prévus ce lundi 8 septembre, rêvant à de prochains voyages. Homme des passages, il est passé alors subrepticement dans son sommeil du soleil au grand noir. Dernière et belle sortie de scène, par la porte dérobée du songe. Retour au lieu d'origine, départ bien trop précoce…sidérant.
Cette sortie est cependant à l'image d'un homme du verbe adepte de la conjugaison au participe présent et du bouclage de boucles.
Au-delà d'un parcours conséquent voué à la relation entre les arts et la ville, retracé ci-dessous dans une notice biographique, au-delà du défricheur, de l'inventeur, du visionnaire, de l'instaurateur, du fédérateur qui savait révéler ce que chacun de nous a de meilleur, artiste fin, homme de transmission, il charmait par sa générosité, son humour, sa rigueur, son sens de l'écoute, son nez, son humilité et surtout sa capacité inentamée d'émerveillement, sa joie communicative devant le spectacle du monde. Être avec lui était un enchantement.
"Pour autant", selon son incise favorite, "on ne peut pas ne pas"... : Michel ne meure pas mais demeure. Ne l'entendez-vous pas? Gardez l'oreille attentive...une nouvelle boucle se forme...
Marcel FREYDEFONT
Michel Crespin
Né le 10 octobre 1940 à Paris, mort à Château-Chalon le 8 septembre 2014
Fondateur de Lieux publics Centre national de création des arts de la rue en 1982-1983, créateur d’Eclat festival européen de théâtre de rue, Festival d’Aurillac, en 1986, de la FAIAR, Formation avancée itinérante aux arts de la rue en 2005. Cofondateur avec Pierre Berthelot de la Cité des Arts de la Rue en 1995.
Artiste, acteur, auteur, metteur en scène et scénographe urbain, enseignant, son parcours personnel est significatif de l’émergence collective d’un regain des formes artistiques dans l’espace ouvert à 360° après 1968 à partir d’une notion qui lui est chère, celle de « public-population », exprimant l’impérieuse nécessité de l’adresse à un destinataire pour toute parole artistique. Faisant le choix d’un terrain de jeu délaissé – la rue – notion qui désigne métaphoriquement tout espace libre et intempérant, urbain ou naturel, il se considère comme un inventeur au sens Renaissance du terme : toute sa vie a été consacrée à imaginer de nouveaux horizons, à faire se croiser les énergies et à instaurer de nouveaux instruments de création, de diffusion, de réflexion et de formation. Licencié en sciences, certifié en Sciences Physiques, il a débuté comme enseignant avant de s’orienter vers la fabrique de la ville et le théâtre de rue dont il est devenu une des figures majeures sur le plan artistique et institutionnel.
Confronté, par hasard en 1972, à l’urbanisme contemporain en participant d’une façon opérationnelle, comme photographe, à l’exposition Évry à Paris, au Grand Palais (26 avril - 27 mai 1973), il fonde en 1972-1973 Théâtracide avec Bernard Maître, Jean-Marie Binoche et son frère Claude Krespin : Pour l'amour du ciel où tous ces gens peuvent-ils bien aller? (1972-1976), La Famille Eustache Amour (1977). Il participe dès 1973 à Ville ouverte aux saltimbanques, initié à Aix en Provence par Jean Digne, directeur du Théâtre du Centre qui organise cette manifestation en collaboration avec Charles Nugue directeur du Relais culturel. Il anime, auprès de Jean Digne, à partir de 1978, les Ateliers publics d’arts et spectacles d’inspiration populaire à Manosque. Il quitte Théâtracide pour fonder avec Annick Hémon Les Charmeurs Réunis, subventionné au titre des activités théâtrales par le ministère de la Culture en 1980. Il initie et co-organise, en 1980 dans le Jura, sa terre d’attache, La Falaise des Fous, véritable manifeste d’artistes de rue des années 1970. 1981 bouleverse la donne. Tout cela l’amène avec Fabien Jannelle (alors directeur du Centre d’Action Culturelle de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée) à la création de Lieux publics « Centre international de rencontres et de création pour les pratiques artistiques dans les lieux publics et les espaces libres des villes », installé lors de sa création à la Ferme du Buisson, à Noisiel. Lieux publics est le seul Centre national de création des arts de la rue, implanté à Marseille en 1989 où Michel Crespin s’installe. En 1994, le ministère de la Culture initie une restructuration des outils inventés par Michel Crespin, redistribuant les missions d'édition et de documentation en créant HorslesMurs chargé de la promotion des arts de la rue auquel Lieux publics transmet son centre de documentation (banque de données, Goliath, Lettre Goliath). 1994 est également l'année de la passation de la direction artistique du Festival d'Aurillac à Jean-Marie Songy. Cette restructuration recentre Lieux publics sur ses missions de création et d’expérimentation (notamment à travers les résidences et la mise en place d’un dispositif singulier : les Parcours d’artistes, confrontant 11 créateurs au territoire des quartiers nord de Marseille), conduisant Lieux publics à proposer une refonte radicale des labels du ministère autour de la notion de Centre national de création, quelles que soient les formes spectaculaires concernées. Cette proposition a initié le mouvement qui a conduit progressivement à la mise en place par l’Etat du réseau des CNAR (Centres nationaux des arts de la rue) et aussi – en 1997-1998 - chose moins connue, une réforme de l’ordonnance de 1945 relative aux spectacles en abandonnant la classification hiérarchiques des arts de la scène. Il quitte la direction de Lieux publics fin 2000, préparant sa succession de façon ouverte à la profession par un recrutement sur appel de projet. Pierre Sauvageot prend la direction en janvier 2001.
Du point de vue artistique, Michel Crespin a commencé dans les années 1970 par un numéro forain au tapis avec Monsieur Roger et Madame Lucie, spectacle des Charmeurs réunis Il s’est ensuite orienté vers le monumental éphémère (Saut Haut, Echo d’Ecorce, Cirque aérien, Les nuits magiques du cinéma, Trapèzes dans la Ville Nouvelle de Marne la Vallée ; Tambours 89 dans le Parc de la Villette ; Le Grand Mécano pour le Centenaire de la Tour Eiffel ; Concerto pour anges motorisés à Villeurbanne ; La Mascarade au Carnaval de Nice ; Voyage aux bords de la nuit). Il a conçu et mis en scène des spectacles relevant d’autres formes que ce genre du monumental éphémère comme en 1995 Théâtre à la Volée, scène annulaire relevant du théâtre forain où le tour de force était de déclamer une tirade d’un grand texte théâtral ou, avec Gérard Burattini La lettre au Père Noël à Aubagne, histoire racontée à toute une ville. En 1993, il avait dédié le festival d’Aurillac à la forme foraine (L’Arène foraine).
Il est intervenu à partir de 1989, puis a enseigné à partir de 1993 dans le département Scénographie, dont il a été un membre fondateur, au sein de l’Ecole nationale supérieure d’architecture à Clermont-Ferrand, puis à Nantes. Préoccupé par la pérennité et la vitalité des arts de la rue et inspiré par le Bauhaus, il est le fondateur en 2005 de la FAI-AR, basée à Marseille au sein de la Cité des Arts de la Rue, après avoir mené à cet effet une étude définition en 2001-2002. Il restait impliqué comme conseiller pédagogique et administrateur dans cette formation artistique unique en son genre, dont l’organisation des études reflète l’exigence et l’ambition qu’il avait pour ce champ artistique. Homme des métamorphoses et du participe présent, son activité institutionnelle et politique est importante en France dans la structuration des arts de la rue et sa conceptualisation. Il jouait tranquillement aux quilles sous les ombrages de la place de son village, la veille de sa disparition subite. Il laisse un grand’œuvre inachevé Le Grand livre de la rue, ouvrage auquel il s’est attelé depuis 2005.
Chevalier de l’Ordre National du Mérite, il a reçu la médaille de Commandeur des Arts et des Lettres à Paris le 17 avril 2013.
Biographie établie par Marcel Freydefont, président de Lieux Publics (1994-2001), président puis vice-président de la FAI AR (depuis 2003)
Comme il le souhaitait et l’avait imaginé, sa famille vous convie à ses funérailles le
Jeudi 11 septembre à 10h pour un dernier roulement de tambour.
Si vous voulez lui faire un dernier baiser, une dernière accolade, il sera dans sa maison
mercredi soir.
Nous vous y accueillerons autour d’un verre de vin jaune et d’un morceau de comté.
Une cérémonie pas très religieuse est prévue jeudi matin pour saluer l’artiste et
l’accompagner dans son dernier voyage.
Chacun peut venir avec son bout d’histoire, ses émotions et son amour.
Nous déjeunerons tous ensemble dans le champ, juste derrière le cimetière.