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26 août 2011 5 26 /08 /août /2011 09:24

En rompant ses attaches avec la littérature pour former une île indépendante, le théâtre s’est détaché de « l’ensemble du continent culturel ». Michel Vinaver a fait le constat que le théâtre n’est plus au centre de la production littéraire de son époque. Conséquence inattendue : une diminution quantitative « du nombre de gens pour qui le théâtre est un sujet d’intérêt et une source de plaisir », avec le détachement de plusieurs catégories culturelles : poètes, romanciers, essayistes, sociologues, économistes, philosophes, éditeurs. Corollaire à cet isolat du théâtre, la majorité du public est constitué de praticiens. L’île enferme et chacun va sur son île. Contestable ? Le paysage théâtral présente un aspect qui traduit de fortes poussées contradictoires, et parmi celles-ci, on en relèvera deux assez marquées au nom du tout-contemporain : l’absorption par les arts visuels et plastiques, et la multiplication d’archipels, qui accentuent la minoration du théâtre.

 

Vinaver a toujours revendiqué une autonomie pour le texte théâtral afin qu’il puisse être lu également comme un objet littéraire. Conscient du caractère hybride du texte, il ne s’est jamais désintéressé du spectacle et de la mise en scène, même s’il a pu parler de « mise en trop ». Il a pris acte de l’autonomie du théâtre, admettant que la page ouverte par Craig et Artaud est bien tournée : la scène est à même de parler sa propre langue. La mise en scène est bien devenue « le point de départ de toute création théâtrale » comme Craig l’aspirait.  Certes d’autres poussées contredisent cette minoration et ce diagnostic. Vinaver s’est lui-même interrogé sur un retour de balancier, la fermeture du cycle du metteur en scène démiurge, le recours au texte et le refus de l’hypertrophie visuelle. Il n’empêche.

 

Il y a dans son analyse un autre aspect qui, pour n’être pas original, mérite d’être souligné. Objet de spectacle et objet de lecture, le texte théâtral littéraire est hybride en ce que, peut-être plus que tout autre texte, il se partage entre adresse à l’oreille et à l’œil. Pour Vinaver, dans cette oscillation, la vue submerge toujours l’écoute et la gouverne dès qu’il y a représentation, conduisant par ce déséquilibre, à de nombreux errements scéniques.

 

Or aujourd’hui la sollicitation de l’œil est extrême. Sous l’influence du modèle de la performance ou de l’installation, ce que l’on peut nommer le théâtre sans le théâtre, l’hypertrophie visuelle et plastique séduit toujours, et cela d’une  autre façon que dans la période 1968-1988, que l’on peut désigner comme celle de la scénographie en majesté. Il semble que les metteurs en scène se mettent en rivalité avec le cinéma, la télévision, la vidéo au risque de l’absorption. Cette démarche semble surtout vaine. Si le théâtre demeure rétif au filmage, c’est qu’il est d’une autre nature dans la production du visible (qu’il convient de ne pas confondre avec le visuel) : ouvrir la vision et non pas la fermer par une image accomplie. Devant cette omniprésence des images et des écrans, Jean-Baptiste et Alexis Barrière ont critiqué avec brio dans une contribution récente[1], ce phénomène. La formule « la vidéo parasite le théâtre » n’est pas satisfaisante. Leur démonstration est cependant probante, précisément argumentée. Un des symptômes est le phagoycytage de « toute possibilité de scénographie ». De fait,  ces dispositifs de monstration tiennent lieu de scénographie et parfois de dramaturgie de façon trop souvent démonstrative. On ne peut que souscrire à leur conclusion : il ne s’agit pas de proscrire la vidéo, mais de promouvoir des œuvres saisissantes qui ne se cachent pas derrière « leurs dispositifs technologiques ». Ceux-ci auront de toute façon tôt fait d’être désamorcés et usés.

 

Il est possible de se demander si le phénomène insulaire ne s’est pas multiplié au point de constituer des archipels : archipel du théâtre, archipel de la danse, archipel de la performance, archipel de la vidéo, archipel des arts numériques. Cela pourrait paraître paradoxal à une époque qui revendique la dissolution des frontières des arts, l’hybridation des formes, l’indisciplinarité, la synesthésie, d’autant que les nouvelles technologies numériques sont appréciées pour leurs qualités multi-médiatiques et polytechniques.

 

Somme toute, il en est des arts comme des continents. Ainsi, depuis 1989, l’Europe est à la fois à la recherche de son unité et elle s’est en même temps fragmentée. Ce processus de  dislocation (et de recomposition ?) participe de ce monde incertain, bien trop aux aguets des images et à la surface des écrans.



[1] « A Avignon, la vidéo parasite le théâtre » page Rebonds, Libération 29 juillet 2011

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