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26 août 2011 5 26 /08 /août /2011 09:27


 Performing ? Vous avez dit performing ?

 

Oui, car semble être venue l’époque que nous appellerons faute de mieux époque du « performing » en forgeant un substantif à partir du verbe anglais « to perform ». « Performing »  donc, pour désigner  par ce néologisme international l’influence exercée par  le modèle de la « performance » dans le monde de l’art contemporain. Une caractéristique reconnue à la « performance » est d’être transfrontalière : forme d’expression transdisciplinaire innovante. Ainsi réunit-elle arts visuels et arts de la scène, les premiers semblant absorber les seconds. Sa dénomination est commode – et chic – dans la langue véhiculaire internationale, d’autant plus que le mot est à double sens. Le néologisme de « performing » entend nommer cette vogue, une mode, une tendance. Cela permet du  même coup d’englober une proposition de substitution qui se fait jour à partir de la sphère anglo-saxonne : dénommer « performance design », « performing design » ou « performance space design » ce qui, depuis 50 ans, est dénommé « scénographie ». Constatant par ailleurs que le vocable de « scénographie » est appliqué dans un phénomène d’évolution troublante à des pratiques qui n’ont qu’un lointain rapport avec la scénographie et avec le théâtre, nous avions proposé il y a peu de dénommer cet usage extensif, approximatif et contestable: « scenographing ». Scenographing et performing vont ensemble.

 

Dans notre monde sur les bouleversements duquel il conviendrait de bien réfléchir dès lors que nous envisageons de parler de théâtre, il est de bon ton de dire que les « vieilles idées » ont fait leur temps ; il est ainsi assez fréquent d’entendre parler de « vieux théâtre » comme l’on entend également parler de la « vieille Europe ». En tout cas, il y aurait une conception vieillie du théâtre alors que l’actualité fraîche multiplierait les formes nouvelles, contemporaines qui renverraient au rayon de la ringardise tout ce qui ne respecte pas les codes de cette contemporanéité absolue. L'assertion de Roland Barthes («Etre moderne, c'est savoir ce qui n'est plus possible»), prise au pied de la lettre peut faire des ravages quand elle se rapporte au contemporain : être contemporain, ce serait dire ce qui n'est absolument plus possible. La liberté moderne deviendrait une suite prescriptive d'interdits....

 

L’évolution est une constante de l'art du théâtre, qui se traduit par une évolution incessante et par l’infinie diversité et fluidité de ses expressions, de ses genres et de ses formes. Affirmer tout à trac que l’évolution récente du théâtre serait inédite trahirait pour le moins une mémoire  courte. Plus particulièrement, l’évolution vers un théâtre visuel ou un théâtre d’images n’est pas un phénomène récent. Le recours à l’image projetée, les relations entre cinéma et théâtre, l’usage de l’image électronique sont familiers d’assez longue date. L’avènement de l’électronique et du numérique est incontestablement une révolution technologique, stupéfiante à bien des égards, excitante sans nul doute, ce qui explique la griserie redoutable de ses effets. Sans récuser l’ouverture vers de nouvelles possibilités, et la félicité qui en résultera, il reste à démontrer que ces apports n’ont absolument plus rien à voir avec ce qu’a permis la révolution électrique, filmique, iconique, phonographique, analogique et à prouver par des œuvres éclatantes une invention esthétique radicale…Il reste à démontrer que ces nouvelles formes se substitueront aux prétendues anciennes. Il y a de plus fortes probabilités qu’elles passeront, une fois l’emballement passé. Donc ceci ne tue pas cela, ceci prolonge cela

 

De même, l’appel à l’autonomie de l’art du théâtre est une vieille affaire. La remise en question de la place du texte, l’effacement sinon la disparition de la conception qui faisait du théâtre une simple branche de la littérature, la capacité du théâtre à faire théâtre de tout matériau textuel, l’existence évidente d’une écriture scénique apte à prendre en charge la totalité de la création théâtrale sans autre préalable que le travail sur un plateau, éventuellement sans texte préétabli, la dislocation des canons dramaturgiques aristotéliciens et brechtiens, la reconnaissance de la force du performing text inhérent à l’acteur et à sa capacité au surgissement grâce à l’improvisation, la puissance de l’action comme texte, la place légitime prise par le genre de la performance, le rôle du corps, l’attrait pour la dimension physiologique du corps transpirant, suant, sécrétant ou au contraire cosmétisé, en lien avec son image projetée en surface sur un écran lisse, l’influence de la danse elle-même autonomisée,  le  pouvoir sans limites du corps-décor, la capacité du corps en jeu à produire de l’espace, la propriété de l’espace d’inscrire le corps, l’importance de l’espace dans la genèse de la représentation,  ne forment pas  des  événements neufs.

 

L’avènement de la mise en scène au XXe siècle

 

L’avènement de la mise en scène au XXe siècle  a été un tournant dans l’histoire du théâtre avec, au-delà de la reconnaissance de sa condition esthétique, le rôle majeur qu’elle a joué dans l’émancipation de la représentation (ce qu’en anglais on nomme performance).  Le scénographe est un partenaire indissociable du metteur en scène dans le théâtre moderne depuis bien longtemps. Cette page semble si bien tournée que présenter le metteur en scène et le scénographe comme les auteurs du spectacle ne constitue par une revendication nouvelle, ni une information  surprenante, ni une prise de position originale. Les prophéties d’Appia, Craig, Artaud, Meyerhold, Taïrov, Wyspiański, Prampolini, Schlemmer sont accomplies depuis belle lurette. L’utilisation rénovée du terme de scénographie au cours des années 1950 et 1960 a été d’un des indices de cette mutation. Le metteur en scène est devenu le principal auteur d’un spectacle de théâtre sans contestation aucune, qu’on s’en félicite ou qu’on le réprouve. A ses côtés, le scénographe est un auteur et un artiste.  Comme un metteur en scène peut prendre en charge la scénographie, un scénographe peut le faire avec la mise en scène : les exemples sont nombreux. Il est cependant possible de s’interroger aujourd’hui si ce n’est pas cette période qui est elle-même en train de changer, si lentement une nouvelle page ne tend pas à se tourner. En se demandant quel monde est ainsi à l’origine de cette représentation du monde. Probablement sous l’effet de ce que l’on nomme les possibilités d’hypertexte et d’hypermédia, mais aussi surtout sous l’effet du retour du texte dans son sens habituel et classique. Les écrivains de théâtre n’ont pas disparu, heureusement, il en est même apparu d’autres. La dimension littéraire du théâtre n’est pas passée à la trappe et le théâtre garde son lien avec la littérature. Même si, à l’évidence, tout cela s’inscrit dans un équilibre différent, même si les modes d'écriture se transforment, le texte demeure indispensable. Et il n’est pas difficile de trouver des indices de  la remise en cause de la mise en scène elle-même, en tout cas, telle qu’elle s’est imposée au cours du XXe siècle. Il est plus difficile de discerner quel monde nous est ainsi proposé au-delà de l’évolution esthétique.

 

De même, proclamer dans une sorte de cri victorieux vouloir briser la frontière des arts relève d’une conviction tardive et en même temps d’un rétrécissement de l’analyse : cela fait plus de cinquante ans qu’Adorno a formulé le diagnostic d’un phénomène qu’il qualifie  d’ « effrangement des arts ». Cette situation historique doit être comparée à d’autres époques et à d’autres aspirations  pour en mesurer la singularité éventuelle: « Arts réunis », « Gesamtkunstwerk », « synthèse des arts » « arts frères », sont des notions qui nous rappellent la constante de cette problématique de l’identité des arts et de leur commerce.

 

L'ancrage de la scénographie au théâtre


Dans cette dynamique, la scénographie s’est toujours trouvée historiquement à la frontière du théâtre, de l’architecture et de la peinture, tout en ayant son ancrage au théâtre (théâtre, danse, opéra, etc.). Vouloir inclure la scénographie dans le champ  d’autres disciplines artistiques que le théâtre, l’opéra, la danse, c’est-à-dire les arts plastiques, les arts visuels, eu égard à  la théâtralité de la plasticité et à la plasticité de la théâtralité ne peut que nous renvoyer à cette très ancienne relation entre théâtre et peinture, ou à ce vieil adage horatien qui a tant fait couler d’encre : « Ut pictura poesis ». Vieille relation entre le texte et l'image, entre l'intelligible et le sensible, entre le langage et l'image, qui ne doit pas conduire à de vaines oppositions, substitutions ou confusions. Analogie dans les différences, parentés, ressemblances, communautés d’aspirations, volonté d’être et de faire ensemble sont légitimes. Mais cela ne règle en rien la question des différences tout aussi fertiles et légitimes. De fait, il n’est pas difficile de faire le constat que les démarches des arts visuels et des arts de la scène et ne sont pas tout à fait les mêmes sans devoir souscrire sans réserve aux convictions de Lessing ou de Hegel  sur ce qui différencient les arts de l’espace et les arts du temps ou croire comme l’affirmait Clement  Greenberg que  les arts sont désormais établis en toute sécurité dans leurs frontières naturelles. Sans forcément rejeter ces thèses en bloc, sans examen réfléchi. La question de l'identitié des arts et des genres ne doit pas être un tabou ou un interdit. Concevoir que l’identité est un processus et non un état définitif, processus dynamique qui modifie sans cesse toute identité, en tout cas qui relativise la croyance en une identité stable, ne signifie pas l’impossibilité de toute distinction, de toute identité, ni même l’hypothèse de facteurs invariants qui se réitèrent. L'art actuel semblerait démentir et renverser l’assertion de Robert Bresson qui a affirmé avec force qu'il n'y a « rien de plus inélégant et de plus inefficace qu’un art conçu dans la forme d’un autre ». Au contraire de cette conception, le mot d'ordre semble être de nos jours : « concevoir un art dans la forme d'un autre ».  Malgré tout, l’assertion de Robert Bresson garde son sens, même si la vogue du performing semblerait l’envoyer dans les oubliettes de l’histoire de l’art au nom de ce qui n'est plus possible ou pensable. Cette vogue du performing prend l’allure à bien des égards d’un argument de marketing, comme le scenographing.

 

Affirmer  que la scénographie est une discipline artistique n’est pas contestable ni nouveau. Peut-on penser qu’elle  forme un champ autonome entre arts de la scène et arts visuels ou plastiques ? Cela revient à affirmer une autonomie totale et une autosuffisance de la scénographie. Que peut-on  penser de ce que la scénographie serait un art vivant  - un « live art » - apte à se manifester sans autre concours que lui-même ? Cela reviendrait à imaginer que la scénographie est sa propre dramaturgie, qu’elle est son propre acteur, qu’elle est la même chose que la mise en scène. Elle serait performative, constituant un événement qui peut se suffire à lui-même. Voici venue l’ère du performatif spatial. On trouve ici ou là dans certains spectacles cette formule de «scénographie performative». Un plateau nu, parfois fragmenté, des écrans, une forêt de cables et de connectique qui jonche le sol de façon très ostentatoire et négligente. Ce serait cela le performing ?

 

Reconnaître l’incidence de l’espace et du temps – et de leur mise en forme – dans le processus de la représentation théâtrale en particulier ou dans toute autre expression artistique en général est une prise de conscience dont il est possible de trouver une origine chez Victor Hugo quand il fait du lieu « témoin  terrible et inséparable » de l'action et un « personnage muet » essentiel au théâtre. Il est nécessaire dans le même temps de reconnaître également au théâtre ce que l’on peut nommer l’indifférence à l’espace. Pour autant, cette révélation a-t-elle automatiquement pour conséquence une conception holistique qui mettrait la scénographie au centre et à la périphérie du processus de création, entendue comme une génératrice dramaturgique de l’espace ? Bien sûr que non : sans être un accessoire au service servile d’une dramaturgie qui lui serait antérieure, extérieure et supérieure, la scénographie est un élément de la représentation  – certes actif, certes acteur, condition indispensable mais non suffisante -. Pas de scénographie valide sans dramaturgie, sans régie (mise en scène), sans acteur, sans jeu, sans spectateur. Et l’avènement de la scénographie n’a de valeur que dans le temps de la représentation qu’elle favorise par l’avènement du vivant.

 

Cette tentation autonomiste ou indépendantiste est accentuée par les capacités de création de mondes virtuels dématérialisés, numérisés, délocalisés, capables d’ubiquité, dans lesquels nous pourrions nous immerger en devenant à la fois les acteurs et les spectateurs de ce monde parfait dont on perçoit la force séductrice. Les techniques de l'image et du son, la force des logiciels qui permettent de les manipuler en temps réel, envahissent l'espace, phagocytent toute vélléité scénographique et tiennent lieu de discours. Dissolution du sujet, dissolution de l’objet, force immatérielle, l’espace comme acte, et l’acte comme langage, voilà quelques horizons qui semblent se présenter à notre esprit. Le raisonnement qui semble gouverner cette conception semble être le suivant : si le langage est performatif, pourquoi la scénographie ne le serait-elle pas ?

 

Outre cette course effrénée que la scénographie  - ou le théâtre dans son ensemble - semble vouloir faire avec l’écran, oubliant la scène et la puissance de la présence, cette omniprésence d’un numérique mal digéré dans l’excitation d’effets qui se révèlent vite comme des procédés pas toujours pertinents ne peut faire lieu de scénographie. Un écran ne tient pas lieu de scénographie. Encore moins de théâtre. Et nous ne jugerons pas en terme artistique.

 

Proposer un changement de dénomination pour la scénographie en arguant de changements qui n’en sont pas paraît assez curieux. Dire que la scénographie n’est pas morte mais qu’elle aurait changé de nature et qu’il serait légitime de changer son nom fait sourire. Passer de la scénographie au performing design ou au performance design, performance space design, comme l’on voudra, laisse songeur. Prétexter comme argument de cette modification sémantique pour la forme, que performance design serait d’un point de vue usuel plus universel que scenography reste à prouver. Scénographie, scenography, scenografia, szenographie,  n’appartiendrait pas au français, au grec, à l’italien, à l’espagnol, au portugais, au polonais, à l’allemand,  et à bien d’autres langues ? Pamela Howard affirme raisonnablement  le contraire : « It is an international theatre word ».

 

Performance et représentation


D’autant plus que l’on sait le trouble linguistique que produisent les termes de design et de performance dans des allers-retours surprenants, quand les termes s’exportent et reviennent pour devenir des néologismes qui ne prennent pas le même sens dans la langue originaire et dans la langue destinataire. Certes dans la sphère anglo-saxonne, performance excède le sens premier du terme pour désigner un genre artistique public expérimental apparu au XXe siècle. Cependant performance signifie d’abord spectacle, représentation, séance, dans le domaine du théâtre.  Ce que nous appelons en français « représentation ». Il faudrait tout simplement  en rester à ce sens premier usuel dans la sphère anglo-saxonne quand on emploie le terme, et en même temps ne pas écarter son sens second. La confusion risque d’être grande... Puisqu’on y est, attardons-nous un peu sur ce mot de performance. Il vient du vieux français « parformer » comme nous l’indique Godefroy dans son Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle (1880) : « Parformance (-ence, performence) : accomplissement, exécution. Parformer : exécuter, accomplir, parfaire ». Le terme a émigré vers l’Angleterre où il s’est bientôt appliqué entre autres choses au domaine de la scène pour désigner la représentation, sorte d'accomplissement sur scène. Il est assez plaisant de remarquer au passage que le terme médiéval de « jeu » est devenu « play » en anglais pour revenir en France et donner celui de « pièce ». Le terme anglais  de « performance » reviendra en France au début du XXe siècle dans le domaine des courses de chevaux pour parler de la performance d’un cheval de course, s’étendant à la totalité du secteur sportif, et ensuite au secteur économique : ce qui est désigné est alors le résultat escompté au plus niveau.

 

Afin de distinguer ce premier sens, on désigne en Angleterre par live art ou aux Etats-Unis par performance art le genre artistique expérimental. Celui-ci concerne le champ des arts plastiques, visuels, musicaux, scéniques. Il se caractérise par son ouverture, son indéfinition, son extrême malléabilité,  sa plasticité, sa fluidité,  sa volatilité, sa volonté d’échapper à toute règle si ce n’est de se situer dans une dimension avant-gardiste. La performance  au sens second désigne un art en action, et en un sens elle consiste en une action (ou un ensemble d’actions), soit préparée mais jamais répétée, soit totalement improvisée. Factuelle, elle est ponctuelle hypertrophiant le célèbre trio linguistique : ego, hic, nunc. Cependant cette ponctualité peut avoir paradoxalement une durée très variable. Elle est contradictoire et perturbatrice : sa fonction est provocatrice et provocatoire, à partir de la perturbation d’un cours ordinaire. Elle se donne pour objectif de bousculer l’ordre des choses, la réception du spectateur ou du témoin, de dénoncer un état de fait social, moral, politique, culturel, économique, etc. A cet effet, elle est par nature associative en associant divers médias, supports, vecteurs, facteurs  (plastiques, sonores, musicaux, corporels, textuels, filmiques, électroniques, etc.),  et, en faisant appel à divers arts qu’elle subvertit et transgresse par le refus de toute limitation et de toute imitation ; en associant aussi la présence physique du ou des performers et des spectateurs. Elle est également dissociative en ce qu’elle ne cherche pas de relation logique entre les différentes composantes, qu’elle peut se contenter de juxtaposer. Elle procède de la superposition plus que de la composition. Elle entend se distinguer sinon s’opposer à la notion de représentation et échapper à tous ses codes. Particulièrement, elle veut échapper au clivage entre art et vie, fiction et réalité : ce qui est, ce qui se manifeste est ce que c'est, et pas autre chose. Elle vise à produire un effet de réel. Elle peut opérer de façon éclatante ou au contraire aux limites de la perception, dans l’infime. Elle doit être unique. Si elle peut être réitérée, elle n’est pas reproductible, ni fixée, restant imprévisible. Si elle peut être enregistrée (l’enregistrement a alors valeur de trace), elle a vocation à être éphémère.  Elle n’a pas vocation à produire une œuvre achetable ou vendable : elle veut échapper au marché de l’art. Elle est également par nature excessive en ce sens qu’elle excède tout ce dont elle s’empare. Elle n’a pas de signification préétablie : le sens advient simultanément à l’effectuation de l’action. Elle est performative (faire c’est dire) et transformative (modifier la réalité au sein de laquelle elle s’inscrit).

 

A établir cette liste de ses possibles caractéristiques, on constate que le performance art concentre un grand nombre des quêtes et conquêtes de l’art au XXe siècle. Il n’est pas étonnant dès lors que l’on fasse remonter son histoire aux origines du siècle (dadaïsme, surréalisme, futurisme, constructivisme, etc.) et que l’on en trouve les manifestations significatives sous ce vocable dès les années 1950. Des formes identifiées (action painting, anthropométries, happening, actionnisme, event, body-art, installation, flashmob,) relèvent de l’art-performance. De même l’interaction avec les arts de la scène a engendré un grand nombre de conséquences sur les formes théâtrales. De même que l’art en allant vers l’action a reçu l’impact de la théâtralisation. Mais que se passe-t-il quand ce qui était l’avant-garde est devenu en un sens l’art officiel, quand la prétendue expérimentation devient un académisme ?

 

Cette longue description de ce que peut engager la performance laisse supposer aussi de violents antagonismes dans son exercice entre une conception radicale de cet art, très exclusive, et une conception plus permissive, très inclusive. Quoi qu’il en soit, la performance a-t-elle tué le théâtre ? Bien sûr que non ! La performance s'est-elle substituée à la représentation? Bien sûr que non : la performance est une représentation!

 

L’attraction exercée par la performance sur les jeunes artistes est compréhensible : cela n’est cependant pas une assurance en matière d’invention et de création. Cela peut se restreindre à n’être qu’un symptôme.  Ce symptôme est parfois facilement identifiable dans les écoles d’art, moins dans les écoles de théâtre : c’est somme toute assez normal. Ainsi, la scénographie devient assez facilement concevable comme le synonyme de performance ou d’installation dans l’esprit d’étudiants scénographes. Il est à craindre que ce symptôme ne soit celui d’une situation qui conduise à une impasse. Cela d’autant que ces formes ne sont pas prises pour ce qu’elles sont désormais : des formes historiques datées…Il est désarmant de voir présenter comme des scénographies de petites performances ou installations certes conçues et réalisées avec une grande sincérité, mêlant intimité et spectacle, mais qui sont loin de constituer des gestes premiers et singuliers.

 

Dans cette situation sur la dimension performative de la scénographie, et sur sa force d’attraction,  l’on peut lointainement ressentir ou déceler ici ou là les effets de la linguistique pragmatique américaine, combinés avec sa déconstruction par Derrida dans un montage savant de références justificatrices. Cela semble élaborer implicitement des syllogismes à multiples étages, une sorte de millefeuille syllogistique qui pourrait se déconstruire ainsi : « Puisque dire, c’est faire, alors tout aussi bien, faire c’est dire ; comme dire c’est écrire et comme dessiner c’est écrire, dessiner c’est dire ; et en ce cas-là dessiner c’est agir ».

 

Design

 

Complétons cette exploration terminologique  avec le terme de design. Ce terme anglais conserve le double sens de l’étymologie italienne disegno, diffractée dans la langue française entre dessein et dessin. Le français contracte dans le seul mot de dessin  le projet (on dirait aujourd’hui le « concept ») et le procédé (sa traduction graphique). Depuis le XVIIIe siècle, la langue anglaise distingue le dessin comme projet (design) du dessin comme procédé (drawing). Ces distinctions se retrouvent ailleurs : l’anglais distingue stage (plateau) de scene (unité de découpage dramatique) tandis que le terme français scène est ambivalent sinon équivoque. Or le terme anglosaxon de design est devenu universel, pour qualifier un domaine reconnu de plein exercice à juste titre : design de produit, design de mobilier, design d’espace. Là où le Corbusier étendait le champ de l’architecture de l’objet jusqu’au plan urbain, le design et l’urbanisme ont trouvé place aux côtés de l’architecture. Opter pour la notion de performance space design relèverait d’une certaine logique au sein du développement du design d’espace. Il se trouve que cela rencontre aussi un obstacle : le secteur du design constitue un domaine de conception dont la culture, les référents, les méthodes, les outils, les finalités sont distincts de ceux qu’a constitué la scénographie.  Pour ne donner qu’un aperçu d’une de ces différences : le design moderne a vu son développement en parallèle de la notion de marketing dont il n’est pas dissociable. Le plus simple est de reconnaître la culture spécifique de l’espace qui est celle de la scénographie et qui provient de son ancrage dans le théâtre.

 

Aspect technologique : la fin de la maquette volume?

 

Pour aborder l’aspect technologique de ces questions, la fin de l’analogique et le passage au numérique impliquent-t-ils (pour revenir au domaine de la scénographie) que l’usage de la maquette volume matérielle soit révolu au bénéfice de la 3D ? Poser la question est y répondre. Opposer les deux procédés pour exclure l’ancien au profit du nouveau n’a pas de sens. Il faut n’avoir jamais fait de maquette avec ses mains et ses yeux pour le croire. Associer les deux procédés, matériel et immatériel, est un enrichissement pour la démarche de conception.

 

Performance, environnement économique et politique

 

Au regard de l’évolution du monde, il n’est guère possible de finir cette réflexion sur le performing sans relever les coïncidences entre le monde économique et le monde artistique travers l’homonymie à laquelle nous avons fait allusion entre la performance exigée par un monde économique gouverné par les marchés financiers et la performance artistique qui revendiquerait quant à elle une approche critique radicale de ce monde capitaliste ; l’opposition est-elle réelle ?


La spectacle de commémoration du 90e anniversaire de la création du Parti Communiste Chinois offre une illustration sidérante des contradictions de notre monde. La Chine est le dernier grand régime communiste de ce monde. Ce pays est désormais voué à la mise en œuvre d’une pensée économique – le théorie ultralibérale de Milton Friedmann – dont elle devient un acteur majeur, sinon le premier. Et la scénographie de cette commémoration demeure celle instaurée par Jiang Qing, la femme de Mao Tsé Toung pendant la Révolution culturelle... Et cette même Chine enferme et anesthésie ses artistes contemporains qui osent en appeler à la démocratie. Dans la dynamique du printemps arabe, Ai Weiwei, célèbre sculpteur contemporain chinois avait qualifié le Parti Communiste Chinois de «bande de gangsters» et appelé à une révolution démocratique. Il a été emprisonné. Il vient d'être libéré. Dans une interview accordée à l’édition anglaise du quotidien officiel Global Times, il renie ses premiers appels : «Renverser le régime par une révolution radicale ne peut résoudre les problèmes de la Chine. Le plus important, c’est un système politique scientifique et démocratique». En le libérant, la Chine a probablement voulu faire bonne figure en raison de la place que tient ce pays dans le concert financier et économique de la mondialisation, mais aussi de la place qu'il veut tenir dans l'art contemporain, proche des grands milieux d'affaires. En se rétractant, Weiwei a probablement satisfait une condition de sa libération ; se taire et revenir sur ses critiques, après avoir subi en prison pressions psychologiques et physiques, et après avoir vu ses proches menacés. Pour vaincre ses dernières vélléités de dissidence, il lui a été asséné «Sais-tu qu’avant de mourir, Liu Shaoqi [ancien président du PCC] tenait dans sa main la Constitution chinoise ? Quelle différence ça a fait ? Et, pour nous, rien n’a changé depuis l’époque de la Révolution culturelle.»

 

Oui, dans quel monde vivons-nous?

 

 

 

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commentaires

F
<br /> Blog(fermaton.over-blog.com) No-16,THÉORÈME DE CLOKEY, le maître de l'argile et les maths.<br /> <br /> <br />
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F
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